Art & Culture
Kojima Jeans Street – L’histoire tissée du denim japonais
Vous ne devinerez jamais ce que j’ai découvert en visitant la rue des jeans de Kojima, la Kojima Jeans Street. C’est un secret bien gardé, au final. Car le quartier n’est en fait pas que celui du jean, ni même celui du denim.
Mais alors, que trouve-t-on à Kojima ?
La réponse est simple. Kojima abrite l’expression contemporaine d’un artisanat japonais à l’histoire multiséculaire.
Laissez-moi vous raconter.
Pris sur la mer au XVIe siècle, le sol de Kojima, dans la préfecture d’Okayama, s’est avéré trop salé pour la culture du riz – obligeant les fermiers locaux à faire pousser autre chose, en l’occurrence du coton. De fil en aiguille, comme le nuage de coton qui s’étoffe en haut de sa tige, l’industrie textile s’est développée dans la région. Jusqu’à produire certains biens en coton parmi les plus raffinés de l’archipel.
Mais, avec le développement des fibres synthétiques au début du 20e siècle, et la mode nationale délaissant les habits traditionnels aux fils des décennies, Okayama a dû trouver une autre activité. Dans le Japon de l’après-guerre, l’image des G.I. Américains en permission dans des blue jeans confortables a fini par donner des idées aux artisans locaux…
En 1965, le premier jean made in Japan, produit par Big John à Kojima, rencontre un succès énorme lors de son lancement. Ce qui inspire rapidement d’autres artisans à rejoindre l’aventure textile à Okayama – et un vent de jeunesse souffle sur Kojima, dans des tons bleu indigo.
En parcourant la Kojima Jeans Street, je ne peux m’empêcher de sourire en observant à quel point toute la rue tend vers le jean. Dans ses moindres détails. Depuis les distributeurs jusqu’aux cendriers publics, tous au motif du denim, alors que la rue elle-même est traversée de plusieurs bannières de jeans et que les commerçants ont un noren inédit, ce petit rideau tendu au-dessus de l’entrée, tissé localement.
Mais étonnamment, la rue des jeans n’est qu’une vitrine récente pour ce quartier dédié au denim. Lors de son ouverture en novembre 2009, seules trois enseignes y étaient présentes – Momotaro Jeans, Dania Japan et Womb.
« Au début, ce n’était qu’une longue rue aux stores tirés, d’où émergeait ces trois boutiques », rigole Toshiharu Suesa, de la Chambre de commerce locale. « Une expérience qui a dû se révéler décevante pour quelques visiteurs curieux, pas forcément des passionnés de jeans. »
Mais la donne a rapidement changé, avec de plus en plus de nouvelles enseignes investissant la rue, et lui donnant son atmosphère actuelle, centrée sur le denim. En seulement huit ans, Kojima Jeans Street est passée de 6000 visiteurs annuels à plus de 150 000 – et ce n’est pas fini.
Pour répondre à cet afflux de touristes étrangers, la Chambre de commerce de Kojima s’attèle à développer une carte en anglais, et que de plus en plus de boutiques forment leur staff à l’anglais. Et environ un tiers d’entre elles sont duty-free, et la proportion augmente.
« Le problème aujourd’hui n’est pas qu’il n’y a pas assez d’enseignes, c’est qu’il n’y a pas assez d’emplacements pour les accueillir », déplore Suea. « Mais pas pour la raison que vous imaginez. »
Pendant l’ère Showa (1926-1989), la rue qui occupait l’actuelle Kojima Jeans Street, connue sous le nom de Ajino Street, était un axe commerçant vivant, avec plus de 200 boutiques. Une artère qui a dépéri rapidement, en parallèle du développement des centres commerciaux et des grands magasins. Au point qu’Ajino est devenu une rue-fantôme.
C’est à ce moment-là que les fabricants de jeans ont décidé de se l’approprier.
« Mais, par ce qu’Ajino était une artère commerçante à l’ancienne, la plupart des boutiques étaient reliées à des pièces à vivre, où sont encore installés de nombreux propriétaires », continue Suesa. « Derrière les rideaux tirés, dans l’arrière-boutique ou à l’étage, beaucoup d’espaces fermés sont aujourd’hui occupés, et leurs occupants ne veulent pas louer la boutique pour ne pas être dérangés. »
La Kojima Jeans Street possède désormais 38 enseignes le long de ses 400 mètres, avec en moyenne cinq ouvertures tous les ans. La coïncidence historique, qui permet à la rue de se développer dans une artère ancienne, permet d’imaginer à quoi le Japon a pu ressembler au moment où les premiers jeans sont apparus. Dans le même temps, pour améliorer l’atmosphère de la rue, de nombreux propriétaires-occupants ont tout de même donné leur accord pour décorer leur rideau tiré d’une fresque liée au denim.
Mais les problèmes de place ne sont pas le seul obstacle aux enthousiastes du jean souhaitant ouvrir boutique dans la rue. Elle est réservée aux fabricants de jeans japonais de la première qualité – les autres candidatures sont refusées. Ce qui signifie que chaque enseigne de la Kojima Jeans Street propose des produits haut-de-gamme, aux matériaux de bonne qualité et aux techniques pointues. Le must d’un artisanat ancien.
Ceux qui veulent une pièce unique seront également comblés. Momotaro Jeans propose de passer commande directement dans leur boutique de jeans customisés. Des pantalons aux goûts du client qui seront fabriqués en 30-45 jours, et livrés à l’international. L’enseigne faisant en sorte d’avoir un employé anglophone toujours disponible en magasin, il est théoriquement possible de préparer son propre jean sur mesure dans leur boutique même sans parler japonais.
Mais dans tous les cas, même les jeans de prêt-à-porter sauront vous convaincre que la réputation qu’à le Japon de produire un denim de très grande qualité n’est pas surfaite !
« La différence entre les jeans japonais et ceux produits ailleurs vient de la mentalité japonaise », justifie Masato Tanak, le directeur de Soulive – une des enseignes de la Kojima Jeans Street. « Si vous commandez 100 pantalons de qualité optimale à un Japonais, il produira précisément 100 jeans parfaits. Alors que si vous commandez 100 pantalons de cette qualité partout ailleurs, le fabricant en fera 120, afin d’espérer en obtenir 100 qui seront parfaits. Les Japonais sont bien plus perfectionnistes. »
En quittant la Jeans Street et l’asphalte indigo de l’entrée, je ressentais finalement une profonde admiration pour la passion minutieuse de cette communauté du denim, ayant créé son propre espace de célébration de cet artisanat. En passant devant ces boutiques dispersées ici et là, et ne passant pas inaperçues dans cette avenue à moitié vide – tels des rivets sur un jean – j’aperçus une scène à la fenêtre d’une boutique, celle d’un homme hochant la tête en signe d’acquiescement à la vue de sa partenaire essayant un pantalon.
Tous les amateurs de jeans le savent bien. Il faut parfois des mois, voire des années, avant qu’un jean ne soit réellement parfait. Totalement adapté à son propriétaire, dans ses nuances et sa coupe, avec la patine du tissu. Il est tout naturel de retrouver ce même processus d’adaptation dans une rue dédié au pantalon emblématique, qui se fait doucement à son environnement et se bonifie avec le temps.
Texte et photographies de Peter Michel Chordas
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Okayama
La région d’Okayama a prospéré comme une région aux éléments culturels variés, dont les sabres, les poteries de Bizen et d’autres pièces artisanales. Grâce à la clémence de son climat, des fruits, pêches et raisins muscat, sont activement cultivés ici. La région comprend aussi des endroits où vous pouvez découvrir les îles de la Mer intérieure de Seto.